Transmettre les savoirs

 

Comment ?

 

 

 

 Comment faire passer le savoir aux jeunes générations et à la population active en général ? C’est là le nœud à dénouer pour faire progresser la cause des sciences.

 

Car pour le moment en France, le degré de scepticisme moyen pousse à croire (j’espère à tort) que l’enseignement distillé patiemment par les enseignants de l’école primaire jusqu’au baccalauréat ne contient pas assez de cours de logique et ne parvient toujours pas à imprégner les cerveaux des nouvelles générations du bien-fondé et de la nécessité de la pensée rationnelle matérialiste.

 

Il ne suffit pas d’apprendre par cœur des montagnes de données -au demeurant désormais accessibles sans grand effort sur Internet- pour avoir une tête bien faite.

 

Il convient aussi de faire l’apprentissage des outils de la pensée et de s’en servir ensuite… par soi-même de façon à apporter une plus-value à sa communauté et à la communauté scientifique en général.

 

Il semble bien que la population -prise abusivement comme un tout homogène, ce qu’elle n’est évidemment pas :

 

  • Soit, (rêvons) ait atteint un niveau de confort matériel tel qu’elle ne voit plus trop pourquoi elle devrait continuer à s’essouffler dans l’acquisition de progrès scientifiques et technologiques marginaux relevant du gadget, de la futilité, de la mode et de l’inutile ;

  • Soit, est en réalité fort mal organisée, a mal géré la répartition équitable des avantages accompagnant les progrès techniques et donne l’impression à un nombre croissant de ses membres que la défense du progrès est un contrat de dupe ne profitant une fois de plus qu’à une minorité privilégiée dont elle voit, comble de l’absurde, les agissements stupides répétés à l’envi au travers d’émissions télévisées stupides.

 

Pourtant, pendant ce temps-là, des millions d’êtres humains aimeraient un emploi fixe et durable, aimeraient bien que les richesses naturelles du pays soient mieux exploitées ; aimeraient des services et des denrées de première nécessité à des prix abordables ; aimeraient que les prélèvements fiscaux et sociaux pour lesquels -du propre dire de nos administrations- nous détenons un record mondial permettent que les ordures soient ramassées dans les quartiers, les pharmacies régulièrement approvisionnées …

 

… bref, ils aimeraient que les progrès réalisés au niveau des connaissances politiques, sociales et psychologiques ne soient pas que des béquilles pour cacher la misère matérielle, intellectuelle et morale grandissante ; qu’elles laissent aussi de la place aux avancées matérialistes primaires (la nourriture), essentielles (l’électricité, le chauffage) et vitales (la santé) permettant d’atteindre un niveau de confort décent.

 

Pour faire court et simple, ils aimeraient que la tête pensante du sphynx servent à gagner quelques degrés de civilisation en repoussant encore un peu plus le singe et l’animal qui dorment dangereusement au plus profond de chacun de nous.

Le regard du citoyen

La liberté d'opinion

La liberté d'expression

 

 Il me semble bien que la diffusion de travaux scientifiques pose toujours et encore un problème de fond à certaines sociétés modernes.

 

L’affirmation concerne avec une vigueur accrue celles et ceux qui tentent de parler des sciences sans faire officiellement partie d’une université, d’une société industrielle ou savante.

 

Pour autant, puisqu’une partie des recherches scientifiques est financée par l’argent public, le bon sens veut que les régimes se disant démocratiques autorisent le public à exercer un droit de regard en retour de son engagement financier.

 

Bien que la démocratie participative reste une grande illusion, le droit de regard inclut à mon sens celui d’exprimer un point de vue sur les choix généraux faits par les instances gouvernantes et par les organismes de recherche publics.

 

Il passe aussi, et pourquoi pas, par le droit de vulgariser certains aspects des sciences ou d’en faire un peu soi-même ; à condition bien entendu de garder raison, c’est-à-dire de ne pas outrepasser ses capacités réelles et de ne pas verser dans la propagation d’idées farfelues, infondées ou sulfureuses sans rapport avec la réalité physique.

 

Le droit en vigueur

 

 

  Les sociétés modernes reposent, pour une grande part d’entre elles, sur un arsenal juridique et coutumier qui structure le comportement des individus acceptant d’y obéir ; la société française fonctionne de la sorte.

 

Ce fonctionnement induit en particulier la nécessité d’introduire les notions de « liberté d’opinion et d’expression » et de « liberté de la presse ».

 

L’Allemagne contemporaine, par exemple, fait reposer le droit relatif aux sciences et aux arts sur l’article cinq de sa loi fondamentale (sa constitution). En France, ces libertés ont été créées par la déclaration les droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (ses articles 10 et 11). Elle est complétée depuis par un certain nombre d’ajouts visant à interdire les dérives racistes, révisionnistes et haineuses (1).

 

Et c’est un grand bien pour ces sociétés d’accepter le principe d’une régulation de l’expression de la parole dans l’espace public. Car si beaucoup peut à la rigueur se dire en bonne intelligence au sein de la cellule familiale, il semble judicieux de modérer ses points de vue et de tenir compte des susceptibilités d’autrui lorsqu’il s’agit de diffuser ses opinions personnelles en public. Comme c’est bien le cas dès le moment où il est fait usage d’Internet et de ses réseaux sociaux.

 


(1) Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et les délits de presse.

 

Les maisons d'édition

 

 

 

 « Le progrès ne sert que s’il peut être partagé », c’était -il y a quelques années- un slogan diffusé sur certaines stations radiophoniques françaises pour faire comprendre la nécessiter de ne pas réserver les avancées technologiques à un nombre restreint d’individus ; en quelque sorte, un plaidoyer en faveur d’une démocratisation des nouveautés facilitant la vie quotidienne.

 

Il règne depuis plusieurs dizaines d’années un état d’esprit similaire dans certaines parties des communautés scientifiques. Certains de leurs membres ont enfin réalisé que les élites n’avaient rien à gagner à se murer dans leur tour d’ivoire pour y manipuler plus ou moins en secret des idées et des symboles compliqués si personne, exception faite de leurs pairs peut-être, ne pouvait en prendre connaissance ou profiter des retombées concrètes éventuelles.

 

La problématique de la diffusion raisonnée du savoir scientifique n’a rien de nouveau (1) d’anodin et encore moins de secondaire.

 

L’absence de public, par exemple, met en péril des maisons d’édition spécialisées (2) et -bien pire encore- les connaissances qu’elles se chargent normalement de publier. L’aventure existentielle et éditoriale d’un théorème de M. Freedman (1981) essentiel pour la topologie illustre bien le propos qui, au demeurant, dépasse les limites de l’hexagone et les seules disciplines scientifiques ; pour en découvrir tous les détails, voir (3). La librairie de l’Université d’Oxford (OUP) tente de sauver ce morceau de mathématique en lançant une suscription. La France, elle aussi se voit dans l’obligation d’aider à sa façon les maisons d’édition (4).

 

La pandémie liée au coronavirus (fin 2019 - …) n’est pas la seule cause de ces déboires, elle est en quelque sorte la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien plein ; même si, dit en passant, il peut paraître surprenant que cette période de confinement forcé n’ait pas au contraire ressuscité le goût pour la lecture et, par suite, gonfler les ventes de livres en papier ou de revues électroniques en ligne (respect de l’écologie oblige).

 

En France, l’Académie des sciences, depuis longtemps consciente de la problématique, a d’ailleurs publié un point complet et intéressant sur le sujet dès 2014 (5) ; signalant au passage les coûts de publication devenus exorbitants, la démultiplication excessive des revues et les mauvaises utilisations du facteur d’impact.

 

Ce rapport participe d’une réflexion plus globale, à l’échelle internationale, visant à redéfinir l’édition scientifique au vingt-et-unième siècle. Les constats et les réflexions qu’il contient ont contribué à la redéfinition et à la diversification du concept de publication ouverte.

 

La Suisse rappelle dans ses archives de 2015 (6) les liens historiques entre imprimeurs, librairies et maisons d’édition ; ces dernières n’ayant acquis leur indépendance par rapport aux deux premiers que très récemment (au dix-neuvième siècle). Elle relève aussi l’importance du facteur d’échelle (éditions locales, nationales et internationales) dans les capacités à survivre de manière autonome.

 

D’autres points de vue insistent sur la pertinence d’une obligation pour tous les auteurs à déposer une copie de tout ce qu’ils produisent en papier ou en données électroniques dans d’immenses archives institutionnelles, indépendamment de la commercialisation qui en est ou non faite. C’est ce que pratiquent au moins en partie déjà les Etats-Unis, les Allemands, la France (Bibliothèque Nationale, HAL, NUMDAM, etc.) et bien d’autres pays encore.

 

Chaque pays adhérant à cette recommandation s’offre ainsi de facto l’immense avantage d’être dépositaire d’un patrimoine intellectuel colossal, quelle qu’en soit la valeur effective. Il en reste une trace, une preuve, et tout un chacun peut ensuite consulter ce trésor en fonction de ses compétences, de ses besoins du moment et de ses habilitations.

 


(1) La science populaire dans la presse, voir le chapitre « Les éditeurs et le marché : la vulgarisation dans l’édition française », pp. 31-50, 1997, cairn.org.

(2) Vers une vague de faillites de librairies et de maisons d’édition, stratégies.fr, 6 avril 2020.

(3) New math Book Rescues Landmark Topology Proof, Quantamagazine.org, 9 September 2021.

(4) Aide exceptionnelle à la relance des maisons d’édition, Centre National du Livre, 9 septembre 2021 ; les-aides.fr.

(5) Les nouveaux enjeux de l’édition scientifique, rapport de l’Académie des sciences, 24 juin 2014.

(6) Maisons d’édition, Dictionnaire historique de la Suisse, version du 19 mars 2015.

 

Les forums

 

 

 Rêves et réalités

 

 Parmi les outils électroniques modernes permettant en principe la diffusion des savoirs scientifiques, il a les forums en ligne.

 

Voilà pour la théorie, car la réalité est toute autre. Dans ma brève vie d’amateur, j’ai pu pratiquer deux de ces agoras en ligne, l’une apparemment américaine (1) et l’autre tenue par une chercheuse allemande (2).

 

Ne faisant pas partie des équipes de professionnels et mon niveau scientifique datant du milieu des années quatre-vingt, donc nécessitant une bonne remise à niveau, je me suis sagement contenté de ne pas m’inscrire en tant que membre à part entière et de lire silencieusement les échanges sans jamais intervenir ni poser de questions qui auraient immédiatement révélées mes grandes lacunes.

 

Ce positionnement, caractéristique du novice, confère un statut d’observateur privilégié que j’ai pu mettre à profit pour découvrir progressivement les règles du jeu et les usages en vigueur sur ces lieux d’échange du savoir.

 

Très vite j’ai apprécié d’avoir adopté cette attitude réservée et prudente ; particulièrement chaque fois que d’autres que moi, plus osés ou surtout plus véhéments s’aventuraient dans de présomptueuses affirmations infondées.

 

La tactique des mentors du premier forum, invariablement, consistait alors à laisser venir l’impétrant à travers quelques réponses furtives, lui demandant de préciser son raisonnement, ses idées et ses sources ainsi que son niveau d’étude.

 

S’il ne répondait pas clairement ou rapidement et s’il persévérait à vouloir asséner sa vérité indiscutable, (i) ou bien il était à jamais ignoré et son intervention se perdait dans une montagne d’archives que plus personne ne lirait jamais, (ii) ou bien un animateur du forum faisait l’effort de le « démonter intellectuellement » sur la base de données rationnelles, vérifiables et bien confirmées au point de le décourager pour toujours. Dans le pire des cas, si l’impétrant continuait à défendre l’indéfendable, la conversation était close de force par les administrateurs.

 

Bref, premier apprentissage : apprends, réfléchis et pèse tes mots avant d’intervenir sur ces lieux, me disais-je. Les années passant, je m’y suis risqué et j’ai parfois reçu quelques éléments de réponse à mes interrogations.

 

Plusieurs facteurs m’ont quand même et finalement fait choisir de me retirer ou, à minima, de prendre mes distances vis-à-vis des forums en général : (i) la langue parfois, (ii) l’anonymat des intervenants souvent, (iii) la difficulté de conduire une conversation de haut niveau en n’ayant pas la formation nécessaire.

 

La langue d'usage

 

Si celle de Shakespeare est absolument indispensable pour espérer avoir un écho dépassant son village de naissance, elle n’est -comme la nôtre- pas forcément d’un maniement aisé dès le moment où il faut exprimer des nuances subtiles.

 

Alors autant commencer par bien maîtriser la sienne avant de se lancer dans l’exposé de pensées ardues dans une langue qui n’est pas la sienne. Il me semble que cette manière de faire est plus judicieuse et potentiellement la plus opportune pour espérer transmettre ses pensées.

 

Par ailleurs, il existe désormais des programmes de traduction en ligne dont l’efficacité s’améliore de mois en mois. Ils donnent désormais une idée globalement acceptable des écrits généraux.

 

Le problème de l'anonymat

 

Réalisant progressivement que,

  1. au-delà du plaisir d’acquérir et de diffuser des connaissances générales, les sciences physiques représentaient un enjeu majeur pour l’industrie, la sécurité et bien d’autres disciplines encore ;

  2. les professionnels en ces matières étaient comme tout employé tenu au secret professionnel et donc quelque part coincé, crucifié pourrais-je même dire, entre un désir probable de partager le savoir et une obligation certaine de ne rien révéler de stratégique qui mette job et pays en danger (nota bene : cet aspect du propos rejoint la question de la liberté d’expression déjà abordée) ;

  3. certains se cachaient sous cet anonymat pour glaner des informations qu’ils n’auraient sinon jamais obtenu ;

  4. d’autres profitaient de cet anonymat pour tenir des propos haineux et lancer des attaques personnelles aboutissant comme récemment sur le second forum à l’interdiction pure et simple de formuler des commentaires,

j’ai fini par accepter contre mon grès cette règle très largement appliquée sur les forums.

 

Pour autant, je considère que cette coutume -même si elle s’explique bien- disqualifie le principe du forum en ligne comme moyen moderne d’échange du savoir. D’où mon retrait de ce genre de plateformes, ou pour le moins des deux sur lesquelles j’avais osé mettre mes pieds.

 

Le niveau d'étude

 

Quant au niveau d’étude, il va de soi qu’une discussion sensée ne peut se tenir qu’en ayant soi-même acquis les connaissances nécessaires.

 

C’est la raison pour laquelle certains forums mêlent finalement l’invitation à la discussion et l’offre de formation en ligne ; ce qui est loin d’être illogique.

 

Pour les administrateurs, écoles et universités ayant fait ce choix, exposer en public les discussions d’étudiants sur les cours qu’ils viennent de prendre semble l’unique manière intelligente de justifier et de faire survivre le principe du forum d’échange des savoirs.

 

Ils entrouvrent en quelque sorte les portes de l’enseignement en ligne pour donner goût à celles et ceux qui pourraient être intéressés par ces disciplines.

 

Car le recrutement des scientifiques de demain (laborantins, assesseurs, professeurs, ingénieurs, etc.) fait évidemment partie des indispensables devoirs de celles et ceux désirant préserver et diffuser les savoirs.

 


(1) www.physicsforums.com  (La visite sur ce site se fait sous votre seule responsabilité).

(2) backreaction.blogspot.com (Ce blog est non sécurisé et les discussions y sont désormais closes ; la chercheuse allemande poursuit ses exposés sur You Tube et sur d'autres canaux payants).

 

Vidéos et commentaires en ligne

 

 

 Vidéos

 

Aujourd’hui, mieux que les forums, il y a sans doute cette kyrielle impressionnante mais fort enrichissante de vidéos en ligne. Elles me semblent être des outils plus efficaces et plus modernes pour l’enseignement des sciences.

 

Les commentaires en ligne sont-ils nécessaires ?

 

Certes les commentaires qu’il est permis de laisser restent limités mais sont-ils vraiment utiles ? Il me semble que tout apprentissage passe par et doit contenir une phase d’écoute, de méditation et de travail personnel.

 

Commenter pour commenter, commenter pour avoir l’illusion d’exister parce qu’on a laissé une phrase sur Internet, cela ne fait aucun sens dans le domaine des sciences.