Le singe sphynxoide

 

 Il voudrait s’échapper, fuir les prisons matérialistes, rituéliques et morales, découvrir enfin ce que signifie ce mot étrange « liberté ».

 

Mais rien n’y fait : la conquête de la verticalité, le passage du rituel au religieux, puis à la science ; Spoutnik, la station spatiale internationale, la marche sur la Lune, n’ont pas modifié son code génétique, l’expression physiologique de celui-ci et les contingences matérielles quotidiennes qui en découlent.

 

En élevant son esprit, il ne fait qu’augmenter sa polarité interne, le divorce prononcé pour l’éternité entre ces aspirations éthérées qui feraient de lui une volute sortie de l’extrémité d’un cigare allumé et les convulsions stomachales lui rappelant qu’il a faim.

 

Plus d’un singe s’est cassé le nez à vouloir regarder dans les étoiles ou, moins ambitieux, à simplement marcher en portant le regard droit devant lui sans plus faire attention à là où il met les pieds. Une évidence récurrente lui faisant regretter le temps insouciant où il pouvait arpenter son univers à quatre pattes.

 

Mais il n’échappe pas à son destin et, tel Icare, inlassablement il sort ses ailes pour tenter d’atteindre le soleil qui, sans remord ni répit, ne se lasse de les lui brûler.

 

Pourquoi, diable, ne règle-t-il pas d’abord l’ensemble de ses problèmes matériels locaux et immédiats avant de se lancer à la conquête de l’espace ?

 

Inversement, comment peut-il croire un instant s’élever seul, sans rejoindre un effort collectif vers les nobles aspirations que son esprit lui fait miroiter depuis si longtemps ? Se pourrait-il que les autres l’aient déçu ?

 

Se pourrait-il que l’action collective n’ait pas pour but l’élévation de la société entière mais seulement la mise en avant de quelques égos démesurés ? Se pourrait-il, à la fin, que les pyramides humaines n’aident pas à atteindre le ciel mais servent uniquement à surcharger ou à maltraiter les muscles et les épaules de ceux qui avaient accepté de participer au projet libérateur en se plaçant dans les étages inférieurs ?

 

Se peut-il que ses chefs utilisent ses rêves pour mieux l’avilir ? Et, finalement, n’y a-t-il un intérêt à regarder au-dessus de l’horizon que pour mieux maitriser les foules qui ne font que marcher les yeux baissés vers leurs pieds ?

 

Dans ce contexte, la science, les sciences, ne deviennent-elles pas les outils complices de pouvoirs sans scrupules au lieu d’être des porteuses d’espoirs ?

 

Espoir de travaux mécaniques moins pénibles (les machines-outils, les véhicules agricoles, les machines à laver, etc.), espoirs de guérisons faces aux maladies (variole, tuberculose, covid19, etc.), espoirs d’une éducation formant des êtres humains au lieu de générer des armées incultes de consommateurs robotisés fuyant leurs responsabilités dans la virtualité des jeux vidéo stupides et guerriers incitant à la violence ?