La naissance d'une passion

 

Les conséquences immédiates

 

 

 L’incident d’Altensteig aurait pu rester un épisode sans réelle importance. Comme l’ont montré ensuite les évènements y ayant succédé, le croire eut été faire fît des accidents spatio-temporels qui ponctuent parfois nos existences sans explication rationnelle ; et donc : tel n’a pas été le cas.

 

Que s’était-il réellement passé ? Les années ont passé sans que jamais je ne trouve de réponses convaincantes aux questions soulevées par ce que j’avais vécu.

 

L’inlassable ressassement des évènements et le secret imposé ont fini par générer un insupportable dédoublement dont l’origine remonte probablement à cet incident insolite.

 

D’ailleurs, s’il m’en souvient bien : « il » nous était demandé de raisonner « comme si » nous étions ... lui, l’autre, cette improbable entité pensante.

 

Dans l’ambiance mi-figue, mi-raisin, imprégnant mon esprit, la réflexion et l’analyse ont continué. Sans que je m’en rende immédiatement compte, elles ont infléchi la trajectoire de mon existence au point de donner naissance à une passion inattendue pour la physique mathématique et de générer un pan entier de mon histoire personnelle.

Les premiers pas de l'amateur passionné

 

 

 Dès le retour de ce voyage allemand, une folle passion pour la physique et pour les mathématiques m’a envahi. Mon père ne s’en plaignait pas, lui qui rêvait de me voir intégrer l’Ecole Polytechnique à Paris.

 

Je prenais cependant bien soin de lui cacher la cause réelle de cette motivation subite et tardive. L’irrationalité du motif l’aurait terrassé sur place et aurait sans aucun doute ruiné à tout jamais ma crédibilité naissante.

 

Du stade de « mauvais élève » - particulièrement en ce qui concerne les mathématiques que je trouvais trop théoriques, trop éloignées de la réalité- je rejoins assez subitement le groupe de tête en classe de première puis de terminale, où je brille particulièrement en physique.

 

La progression fulgurante s’oppose frontalement avec l’indolence du pré-adolescent ayant mollement traîné ses guêtres au cours de la classe de troisième puis de celle de seconde en rêvant tour à tour de devenir prêtre puis poète.

 

La situation initiale était tellement désespérée que mon père avait été obligé d’implorer une dérogation me permettant de passer dans les sections scientifiques ... « à l’essai » !

 

L’épanouissement se révèle à partir de la classe de première. J’y ai parfois de véritables coups de génie dont je suis parfois moi-même surpris.

 

L’un d’entre eux me, par exemple, permis de résoudre un problème concernant les classes d’équivalence d’une manière qui impressionne tellement mon professeur qu’il me demande d’en donner l’explication au tableau au cours de la séance de correction commentée accompagnant la remise des copies et des notes. Mais ce jour-là, très ennuyé, je me vois contraint de relire bêtement mon propre devoir, incapable de retrouver et comprendre l’idée ayant mené à généraliser la solution attendue !

 

Par chance, je suis le seul à résoudre le problème posé, de sorte que personne ne peut m’accuser d’avoir copié l’idée et mon embarras passe donc inaperçu auprès de mes petits camarades ... ; mais sans doute pour notre professeur !

 

En classe de terminale, avide de connaissances, poussé par le besoin de comprendre les phénomènes naturels et de mettre la main sur une explication plausible aux événements surnaturels survenus à Altensteig, inconsciemment encouragé par le rationalisme militant de mon père, je débute la lecture de la théorie de la relativité restreinte ; seul (1).

 

Bref, pour le plus grand plaisir de mon père, devenu ingénieur chimiste en passant par « la petite porte » et qui rêve toujours de faire de moi le premier polytechnicien de la famille, j’obtiens le droit de poursuivre ma scolarité scientifique à l’école Sainte-Geneviève (Versailles), toujours chez les Jésuites, dans les classes préparatoires aux grandes écoles.

 

A l’occasion d’une visite dans Paris dont j’ai oublié le véritable motif, je trouve un livre abandonné sur un banc du parc du Luxembourg : « Les théories de la gravitation et de l’électromagnétisme » préfacé par G. Darmois, écrit par A. Lichnerowicz et publié aux éditions Masson et Cie en 1955 ; je m’en sers encore aujourd’hui.

 

Je me suis d’ailleurs toujours demandé comment et pourquoi le propriétaire de ce livre avait pu l’oublier sur ce banc, en plein jour. Personne n’a accouru lorsque je l’ai finalement rangé soigneusement dans mon cartable après avoir longuement scruté les alentours en quête d’une silhouette agitant les bras et me priant de ne pas emporter ce qu’elle avait laissé là par mégarde.

 

Plus de quarante ans après, la seule personne connaissant cet ouvrage, ayant travaillé avec et ayant été capable de commenter, à la page près, une de mes questions est un membre anonyme d’un forum de discussions sur Internet.

 

Je le recommande aux jeunes (et aux moins jeunes) chercheurs d’expression francophone parce qu’il présente l’immense avantage pédagogique de faire comprendre la lente progression de la science. C’est un des rares livres sur le sujet dans lequel apparaissent diverses théories unitaires ; côte à côte.

 

(1) En commençant mon périple avec l’ouvrage Mécanique des particules, champs ; R. Lennuier, P.-Y. Gal et D. Perrin, premier cycle de l’enseignement supérieur, © 1970, collection Armand Colin.

Et l'amour dans tout ceci ?

 

 

 

Pour des raisons bien naturelles et liées à mon (trop) jeune âge, cette ascension fulgurante dans le monde des idées s’interrompt brutalement en octobre 1975, quelques semaines avant ma majorité. La cause en est simple : l’amour. Je me suis follement épris d’une jeune fille allemande lors de mon voyage vers et en Europe du Nord, à l’été 1975 ; quoi de plus naturel à presque dix-huit ans !

 

Instabilité compréhensible du jeune homme cherchant encore sa voie dans un monde dont il ignore tout et ayant découvert la femme à l’aube de sa majorité - éducation jésuite et puritanisme parental obligent-, l’aventure intellectuelle reprendra après une année sabbatique enchaînant, courte dépression nerveuse (quelle idée de s’amouracher à plus de mille kilomètres de son lieu de vie habituel  ?), six mois de travail en tant qu’ouvrier agricole du côté de Lunéville dans la petit commune au nom prédestiné de Bézanges-la-ville, un rapide passage en tant que caissier d’un supermarché de la ville du Chesnay et un concours d’entrée réussi à l’école d’ingénieur agronome de Toulouse où je ne mettrai finalement jamais les pieds.

 

Finalement, poussé par le divorce de mes parents, je reprends des études axées sur l’apprentissage d’un métier technique permettant un accès direct aux contacts humains. Le stage agricole m’a fait comprendre la nécessité d’éviter les envolées mentales sans lien immédiat avec le concret. Pour autant, tout en préparant assidument mon doctorat de chirurgien-dentiste, j’utilise mes quelques moments libres à poursuivre – mais cette fois-ci lentement- mon impossible quête.

 

Il est vrai que mon père, peu de temps avant qu’il quitte le foyer, m’avait offert l’occasion insolite et totalement inattendue de rencontrer l’auteur malheureux de la théorie de la synergie. Celui-ci, dans son incommensurable volonté de convertir qui voulait bien l’écouter à sa nouvelle théorie, il m’avait confié une copie de ses équations. Ainsi, à mes moments perdus, je les relie, je les médite et je tente d’en profiter pour faire avancer mes propres idées sur la nature de la nature.