Cartésianisme et fraternité

     

La démarche cartésienne

est-elle compatible

avec la fraternité ?

 

  Sans l’air (une substance impalpable et invisible) notre cerveau, un des organes vitaux de notre corps, et au demeurant celui qui secrète la pensée (une autre substance impalpable et invisible), ne survit pas longtemps aux agressions quotidiennes auquel il est soumis.

 

Sans le retour immédiat du bon sens et de la raison lui permettant d’échapper aux sirènes défaitistes et sectaires de certains politiques, une partie de la population humaine va bientôt connaitre des heures sombres ressemblant, si je ne m’abuse, à celles auxquelles nos voisins allemands n’avaient - par lâcheté collective- pas su s’opposer en 1933.

 

Mais la démarche raisonnée de nature cartésienne est-elle une philosophie efficiente pour fédérer les êtres humains ?

 

J’en doute profondément et j’explique pourquoi.

 

 

La découverte de soi

grâce à la démarche analytique

 

Le « Je pense donc je suis (Cogito ergo sum) » de Descartes fonde une attitude volontaire par laquelle chacun(e) enclenche tout un mécanisme complexe et essentiellement critique lui permettant de prendre conscience de son existence et de se définir par rapport aux choses et aux êtres qui l’entourent.

 

Cette petite phrase contient à elle seule tout un univers en disant long sur ce que nous sommes et sur les conséquences de cette capacité extraordinaire dont nous disposons, si nous savons nous en servir correctement : la pensée.

 

Un corps en bonne santé (ce que je souhaite à tous) dispose d’outils permettant d’appréhender le flot quasi-incessant d’informations sensorielles parvenant aux yeux (la vue), aux oreilles (l’ouïe), au nez (l’odorat), sur la peau peau (le toucher) et au niveau du palais (le goût). Notre cerveau passe ensuite son temps à décoder, analyser puis à réagir à tous ces stimuli.

 

Pour faire court, si la pensée s’identifie avec l’ensemble des activités d’analyse, force est de constater alors qu’elle permet à tout un chacun de se forger une représentation du monde extérieur et de soi-même.

 

L’analyse fine des sensations, leur décortication mentale poussée à l’extrême, font naître dans nos lobes cérébraux une image du tout. En les regroupant, nous tentons de construire une représentation de nous-même et de l’enveloppe de notre corps.

 

Un mathématicien dirait qu’elle aboutit à définir la surface close délimitant notre volume dans l’espace et dans le temps ; par un mécanisme apparemment simple de complémentarité, elle définit à la fois l’extérieur et l’intérieur, notre territoire et son contenu, celui dans lequel nous disons être.

 

 

Le mieux est l'ennemi du bien

 

Cette démarche analytique, comme toutes les autres, comporte des limites au voisinage desquelles il vaut mieux ne pas se hasarder trop longtemps.

 

Car si le découpage réel - par l’autopsie- et virtuel - par la pensée- du corps humain permettent l’esquisse d’une carte anatomique du corps humain et psychologique de son fonctionnement, l’être vivant ne se laisse jamais réduire à un ensemble sophistiqué d’os, de chair et de sang.

 

Pire défaut encore de la méthode cartésienne, il ne suffit pas de connaitre la collection des pièces qui constituent une entité pour pouvoir la reconstruire.

 

Pour preuve ? Si la robotique, alliée à l’intelligence artificielle, s’essayent depuis de nombreuses années à l’exercice périlleux consistant à produire une copie mécanique de l’être humain, aucune équipe scientifique n’est encore parvenue à reconstruire un être humain dans son intégralité et dans sa complétude.

 

Les seuls domaines dans lesquels le syndrome Frankenstein s’exerce avec un certain bonheur concerne les chirurgies réparatrices de certaines parties isolées de notre corps (dents, prothèse de hanche, valves cardiaques, greffes, etc.) ou quand il s’agit de concevoir de nouveaux médicaments

 

Pour une femme et un homme, il n’y a aujourd’hui pas de meilleur moyen de reconstruire un individu que celui -naturel- consistant à faire l’amour, à porter l’enfant conçu, puis à le faire naître.

 

De même, en administration et en politique, il ne suffit pas d’établir un catalogue descriptif précis des populations vivant sur un territoire pour être capable de les faire vivre harmonieusement ensemble. L’analyse fournit un état des lieux sans être en mesure d’imposer les remèdes. Au mieux, elle en suggère.

 

Il manque à cette démarche un ingrédient essentiel, la glue permettant de maintenir ou de recoller ensemble les parties disjointes du tout.

 

 

La cause des personnalités éclatées, multiples et déséquilibrées

 

Une des limites dramatiques du cartésianisme réside dans son inaptitude gravissime à ne pas savoir reconstruire ce qu’il a cassé par nécessité de mieux comprendre ou de mieux contrôler ; il casse à force d’analyser. Au lieu d’apporter le bonheur de la compréhension, il crée des fossés arbitraires ou inutiles et détruit cette imbrication initiale et naturelle des parties. A noter : je n’ai pas dit : imbrication parfaite.

 

La plus connue de ces malencontreuses dichotomies reste celle qu’il a voulu imposer en séparant artificiellement le corps et l’esprit. Comme si un cerveau pouvait penser quand on a séparé la tête du reste du corps ou comme si le corps pouvait agir de façon intelligente sans recevoir les impulsions coordonnées du cerveau. Bien évidemment, c’est un non-sens et l’un ne va jamais sans l’autre !

 

Et il n’y a pas de meilleur moyen de garder son intégrité physique et son harmonie intérieure (toutes deux si nécessaires à notre bonheur individuel) que de commencer par se respecter soi-même en entretenant des liens courtois et polis avec les autres.

 

 

L’aspect politique des dégâts du cartésianisme :

les classifications potentiellement discriminatoires.

 

Les mécanismes administratifs voulant nous classifier en catégories distinctes introduisent, qu’ils le veuillent ou non, des discriminations.

 

Un exemple typique de cette approche consiste à mettre en œuvre des programmes de prévention dentaire ne concernant que des populations défavorisées. La logique sous-jacente à cette démarche apparemment sociale et généreuse aboutit en réalité à devoir définir ce qu’est une population défavorisée (sur quels critères objectifs ?) et à l’isoler au sein des fichiers généraux de la population.

 

Je m’interroge sur les dangers d’une telle logique alors que je sais par ailleurs que deux tiers de la population générale (prise dans son ensemble) ne consulte pas régulièrement le dentiste à titre préventif.

 

De même, les attitudes politiques qui tendent à vouloir séparer les populations vivant sur un territoire à cause de divergences d’opinion, de la couleur des peaux, des histoires passées, des croyances et des pratiques religieuses sont autant d’analyses qui, sous couvert d’une pseudo-rationalité à vocation organisatrice, mettent des frontières et des distances dangereuses entre les êtres humains.

 

Elles nous séparent et, sous prétexte d’ordonner la vie civique, créent des prisons à ciel ouvert ... sinon réelles, pour le moins mentales. Elles cassent le Grand Corps Humain et préparent un lit propice à d’incessantes guerres fratricides.

 

La raison, sans l’amour et le respect de l’autre, n’est qu’une sinistre machine à casser l’unité humaine : la sienne d’abord et celle de la collectivité dans laquelle nous tentons de vivre ; parfois de survivre et de ne pas mourir.

 

 

Les humains sont-ils capables

de pratiquer la fraternité ?

 

Oh je ne suis pas naïf et ce texte critique ne s’adresse pas uniquement aux francophones. Je sais depuis bien longtemps que l’unité humaine n’existe pas réellement et qu’elle reste un rêve, un objectif.

 

Il n’y a pas de peuple vivant actuellement sur ce globe qui soit parfait et foncièrement meilleur qu’un autre. Entre l’apartheid sud-africain, les pogromes contre les musulmans dans certains pays d’Asie et les persécutions contre les chrétiens d’Orient, pour ne citer que quelques exemples d’un passé relativement récent, il y a une chose commune : l’intolérance viscérale de l’autre. Alors comment peut-on encore rêver de respect mutuel et d’amour du prochain ?

 

Quelle chance l’animal humain a-t-il de s’élever au-dessus des contingences matérielles de son corps (voir le passage concernant le singe sphynxoide) ? Quand et comment peut-il s’abstraire de cette nécessité impérieuse de posséder plus de sources de richesse et de survie que son voisin, voire de le lui voler ?

 

Je ne le sais pas et je présume que l’évolution rêvée qui conduirait à un juste partage consenti des richesses terrestres n’est pas prête à se faire. L’accroissement vertigineux de la population mondiale alliée à l’instinct de survie naturel des individus risque de retarder encore pour longtemps l’avènement d’une société plus juste et plus généreuse.

 

Et pourtant, après dix mille années de guerre quasi-ininterrompues sur Terre, n’est-il pas temps de faire le point sur nos absurdités comportementales et sur nos illogismes ?

 

Combien de temps encore accepterons-nous de donner le pouvoir aux plus belliqueux et aux plus violents parmi nous ? Par exemple : à ceux qui ont tué ou fait tuer des milliers de personnes, vendu des tonnes de substances illicites ou réduit à l’esclavage des populations entières ?

 

Combien de temps encore donnerons-nous plus de valeur marchande à un kilo de drogue, au commerce du sexe ou à un char blindé qu’à une école, un hôpital ou une canalisation amenant l’eau à nos appartements, à nos maisons, à nos champs ?

 

Faut-il que l’humain soit à ce point bête et animal pour préférer s’auto-avilir en ne sachant toujours pas faire le choix judicieux d’activités industrieuses raisonnables qui lui assureraient la sécurité et le confort ? Préfère-t-il vivre dans l’angoisse et la peur, sous le feu nourri et permanent des canons, mourir déchiqueté ?

 

 

Unissons le coeur et la raison

 

La fraternité -un des trois mots magiques ornant le fronton de nos mairies- est la glue qui résout les dilemmes que le cartésianisme froid génère sans savoir y donner des réponses satisfaisantes.

 

La paix civile que certains appellent si fort de leurs vœux en ces jours troubles et obscurs commence -contrairement à ce que nous prétendons majoritairement- non pas toujours et systématiquement par plus de police, d’autorité et d’armes ; mais par plus de civilité, de politesse et d’éducation.

 

Elle commence par la mise en œuvre effective du respect mutuel et par le dialogue entre les catégories que des administrations et des politiques créent plus ou moins consciemment.

 

La parole adressée à l’autre pour mieux le connaitre, même s’il a une représentation du monde qui n’est pas la mienne, reste la meilleure arme contre la bêtise et les violences.

 

La sécurité commence par le courage de vouloir respecter et connaitre l’autre, ses problèmes, ses attentes et non pas à le considérer a priori comme un lapin à abattre à coups de carabine.

 

On ne cultive certainement pas la paix civile en excluant ceux qui ne nous ressemblent a priori pas. Ce n’est pas en créant des ghettos ethniques, religieux et économiques qui seront tôt ou tard forcés de basculer dans les trafics obscurs pour survivre qu’une chaleureuse ambiance de fraternité se développera au sein de nos cités.

 

Il est curieux que les gens portant des idées raisonnables aient si peu de temps d’antenne dans les médias. Il est vrai que beaucoup de gens, au risque de perdre leur âme, préfèrent le buzz à l’analyse rationnelle et éclairée des situations réelles.

 

 

Pour la petite histoire et pour rafraichir les mémoires sur les dangers de faire des catégories.

 

L’Allemagne national-socialiste (1933-1945) a développé et soutenu l’idéologie selon laquelle il existait deux populations sur Terre : une minorité élitiste d’aryens nationaux socialistes et les sous-hommes ne méritant pas de vivre.

 

Le second sous-ensemble englobait toutes celles et ceux qui n’étaient pas des aryen(ne)s blanc(he)s, blond(e)s et aux yeux bleus ; plus explicitement : les juifs, les communistes, les francs-maçons, et tous les opposants au régime nazi.

 

Ce régime a poussé sa politique ethnique jusqu’à exiger de chaque famille qu’elle établisse et détienne un carnet généalogique sur au moins trois générations prouvant l’absence de relation avec la communauté juive.

 

Il a ensuite organisé « la solution finale » pour cette communauté, écartant ses membres des postes administratifs, universitaires et des fonctions de notables, fermant de force leurs boutiques et leurs commerces.

 

Il a, en même temps, voulu libérer ses frères allemands et étendre son espace vital. Pour cela, il a mis l’Europe puis le monde entier à feux et à sang en s’adjoignant le Japon pour ami objectif. Les historiens estiment que le nombre de morts se situe entre 50 et 60 millions de personnes.

 

Les Alliés (France résistante, Angleterre, USA, Union Soviétique) ont pu mettre fin à cette folie de catégorisation mathématique des humains. Les Américains, à titre d’exemple, ont perdu 2 millions de soldats pour reconquérir les îles du Pacifique une à une. L’Union Soviétique en a perdu entre 15 et 20 millions.

 

L’Allemagne, comme punition collective pour les méfaits qu’elle avait engendrée a été démantelée à la sortie de la seconde guerre mondiale en quatre parties. Elle n’a jamais retrouvé son intégrité territoriale, même pas après la chute du mur de Berlin en 1989. Elle a retrouvé une modeste partie de son autonomie militaire et le droit d’intervenir sur les terrains d’action extérieurs pendant le mandat du chancelier G. Schröder. Aujourd’hui encore en Allemagne, certains regrettent la forte dépendance vis-à-vis des Etats-Unis d’Amérique du Nord ; même si la Chine est devenue le premier partenaire commercial et que la réunification lui permet, plus que d’autres pays européens, un dialogue facilité avec l’ancien bloc soviétique (L’ex-chancelière A. Merckel est née à l’Est et elle parle russe).

 

Pour faire court et pour parler clair : il aura fallu presqu’un siècle à l’Allemagne pour retrouver une souveraineté partielle et devenir une république moderne.

 

Bilan : Qui trop embrasse, mal étreint. J’espère que les politiques d’aujourd’hui ont bien intégré les dangers auxquels les idéologies basées sur un excès de privilèges accordés à une seule catégorie exposent. Cette façon de penser appartient à un sombre passé qu’une énorme majorité souhaite être révolu et ne jamais voir resurgir !