Les non-communications

Voulons-nous vraiment communiquer ?

 

De mémoire d’hommes, il n’y a jamais eu autant d’humains sur Terre (nous nous dirigeons collectivement vers le nombre ahurissant de neuf milliards).

 

Et il n’y a jamais eu autant d’objets électroniques permettant qu’ils communiquent entre eux.

 

Pourtant, bien des habitants des cités géantes qui s’égrènent désormais à la surface de la planète vous le confesserons peut-être : ils ne se sont jamais sentis aussi seuls.

 

Ils ont, en dehors de leur propre famille (s’ils en ont encore une) ou de leurs collègues de travail - mais avec combien d’entre eux peuvent-ils vraiment parler à cœur ouvert ?- la sensation anxiogène et désespérante d’errer dans une foule qui les ignore et de vivre comme le feraient des robots.

 

La foule est pourtant bien là ! Ils ne la rêvent pas lorsque, chaque matin, ils rejoignent le lieu de travail. Elle est omniprésente : dans les rues, dans les métros, dans les bus et dans les trains bondés de banlieue ; même s’ils ne la croisent plus que deux ou trois fois par semaine depuis l’apparition de la pandémie de covid et l’instauration du télétravail.

 

Le croisement avec la foule ne change de toute façon rien à la sensation de solitude car, sauf s’il arrive par mégarde que quelqu’un cogne le coude d’une des ombres passantes, les échanges effectifs restent quasiment inexistants.

 

J’ai fait mes études à Paris. Vivant en banlieue Ouest, n’étant pas sportif (en particulier ne pratiquant pas le cyclisme) et ayant constaté que les moyens de transport en commun permettant de rejoindre la rue des Saints Pères, la faculté dentaire de Montrouge ou le centre de soins Jean Délibéros avaient l’énorme désavantage d’être très chronophages (Il fallait une heure et demie pour parcourir les onze kilomètres séparant Le Chesnay de centre de Paris), j’ai élu domicile chez ma grand-mère maternelle, au bout d’une ligne de métro, près de la porte des Lilas.

 

Les deux années pendant lesquelles elle m’a offert l’hospitalité m’ont permis de devenir un habitué du métro parisien et de réaliser quelques observations concernant le comportement de l’usager standard.

 

Plus d’une fois, j’ai eu envie d’établir d’étranges comparaisons entre humain voyageant en métro et électron circulant dans son orbitale.

 

Les banquettes de l’époque mettaient en vis-à-vis deux fois deux places. Non seulement les mêmes personnes circulaient aux mêmes heures, s’asseyaient aux mêmes places jour après jour, mais elles choisissaient systématiquement de s’installer le plus loin possible des autres (comme si une force naturelle de répulsion agissait sur eux) à moins d’y être forcées par le nombre des voyageurs.

Le rêve d'une société harmonieuse

 

Quand on interroge chacun isolément et qu’on lui demande de formuler à quoi ressemblerait la société idéale, celle dans laquelle il aimerait absolument vivre, les réponses décrivent bien souvent le rêve d’une communauté heureuse, communicante, sans taboue, capable d’échanger dans l’écoute et dans le respect des autres, le tout de façon apaisée.

 

Eh bien, vous le savez déjà, cette société n’existe pas ! Les gens aspirent au bonheur mais peu atteignent ce nirvana. Et s’ils ont parfois la sensation de l’avoir atteint, ce n’est jamais pour bien longtemps.

La nécessité de trouver des moyens de communication 

 

Comme l’a découvert Descartes il y a bien longtemps : les humains pensent. Ils ont tous quelque chose dans la tête, une sorte de voie intérieure plus ou moins bien articulée et plus ou moins bien consciente d’elle-même ; mais ils l’ont.

 

Leur unique mais gigantesque problème, c’est qu’ils ne savent pas articuler clairement leurs pensées et qu’ils ne mettent pas en place des systèmes sociétaux autorisant la transmission sincère de celles-ci pour le cas où ils seraient finalement parvenus à la formuler.

Les tabous

 

Les gens ne peuvent pas communiquer sans tabou.

 

Tout simplement parce que les humains se regroupent en communautés d’action (le travail, le syndicat, le parti politique, l’association, l’église, etc.) et que chacune d’elles a un vocabulaire qui lui est propre en ce sens qu’il est ajusté à son activité.

 

Chacune développe une logique interne dans la manière d’ordonner son vocabulaire (C’est sa grammaire) ; et, bien évidemment, chacune a des codes de conduite vis-à-vis de chacun de ses membres et de ceux des communautés extérieures (ils constituent la morale de la communauté en question).

L'absence d'écoute 

 

Les gens ne communiquent pas dans l’écoute ou dans le respect des autres, et le tout de façon apaisée !

 

La raison en est que lorsqu’ils communiquent, c’est pour imposer quelque chose à quelqu’un d’autre (pour le commander, pour lui donner l’ordre de) ou pour obtenir quelque chose de l’autre (un gain financier, une reconnaissance).

 

Les gens commandent et obtiennent avec plus ou moins d’insistance, par ruse, par diplomatie, par la douceur ou par la violence.

 

Pour toutes ces raisons, les dialogues et les échanges finissent par devenir de tristes pugilats ; parfois, malheureusement, la main armée remplace l’impuissance des mots et des stratégies de séduction.

Conclusion

 

Il n’y a donc pas d’échange gratuit, pas de neutralité confraternelle vraie et comme l’avait autrefois compris l’organisateur de nos vacances sénégalaises : tout a un prix, même le sourire !

 

C’est pour cela qu’à la fin de mes études, je me suis mis à rêver de campagnes luxuriantes et d’horizons maritimes. Voici pourquoi j’ai choisi d’aller vivre dans l’univers certes plus restreint mais infiniment plus humain d’une petite ville de campagne (Granville dans la Manche) et de prendre le temps qu’il fallait pour méditer sur l’incommunicabilité des pensées humaines.